Avant Internet, il était rigoureusement impossible de savoir à l’instant T ce qui se passait à l’autre bout du monde. Et d’une certaine manière, en se fragmentant en petits îlots, l’Internet de 2024 a retrouvé un peu de cette caractéristique. Un étonnant retour en arrière. En poussant les curseurs d’Internet à fond, on allant chercher les usages extrêmes des algorithmes et autres bulles de filtre, en façonnant à Internet à la mesure de chaque utilisateur, nous avons tué la viralité de masse et en quelque sorte dénaturé Internet. Ce retournement, c’est la viralité contre elle-même. Internet contre lui-même.

La fin de la viralité ou Internet contre lui-même

L’idée est assez simple : au départ, Internet était un espace vaste que l’on parcourait plus ou moins librement, surtout guidé par ses envies et ses gouts. Mais aujourd’hui, les algorithmes et l’effet des bulles de filtre font que l’internaute n’est jamais confronté qu’à ce que la machine estime intéressant pour lui. Où est la part de surprise ? Et si désormais je ne suis plus confronté qu’à des contenus spécifiques, choisis pour moi, alors il y a de fortes probabilités pour que ma vision d’internet soit radicalement différente de celle de mon voisin.

En décembre dernier, le journaliste Charlie Warzel a publié un article dans The Atlantic intitulé « Personne ne sait plus ce qui se passe en ligne« . Le postulat, qui n’est pas nouveau, veut que désormais, chacun parcoure un Internet façonné pour lui par des algorithmes. Conséquence : la vision que j’ai du web est différente de celle de mon voisin.

L’idée est assez simple : au départ, Internet était un espace vaste que l’on parcourait plus ou moins librement, surtout guidé par ses envies et ses goûts. Mais aujourd’hui, les algorithmes et l’effet des bulles de filtre font que l’internaute n’est jamais confronté qu’à ce que la machine estime intéressant pour lui. Où est la part de surprise ? Et si désormais je ne suis plus confronté qu’à des contenus spécifiques, choisis pour moi, alors il y a de fortes probabilités pour que ma vision d’internet soit radicalement différente de celle de mon voisin. Un peu comme si je me lançais dans une randonnée sans choisir l’itinéraire et avec des œillères. Les paysages traversés seraient sans doute pour moi bien différents de ceux d’un autre randonneur.

Alors d’où vient ce changement ? Pour le journaliste Ryan Broderick, l’origine fondamentale de ce basculement vient d’une appli, d’un réseau qui, à lui seul, a façonné l’Internet des années 2020 : TikTok. Ce n’est pas un hasard si les administrations d’Europe et des États-Unis notamment se méfient du réseau social chinois. Ryan Broderick résume : « Ce que l’administration Biden ne comprend pas, c’est que nous sommes maintenant fermement dans un monde TikTok-first et, par extension, vidéo-first internet. Et l’algorithme de TikTok est presque l’inverse de quelque chose comme Facebook. Son effet de réseau n’est pas basé sur l’attrait de masse qui se transforme en viralité mondiale, mais sur l’identification de niches. Votre TikTok et mon TikTok ne seront jamais les mêmes et cela signifie de plus en plus que mon Internet et votre Internet ne sont pas les mêmes. Et si vous essayiez réellement de voir TikTok comme vous le feriez avec Facebook, cela aurait même du sens. Je vais vous le montrer. »

Sous l’influence de TikTok, Internet a changé. Ou bien, et c’est une hypothèse à ne pas écarter : TikTok n’est que le symptôme d’un changement de fond dans l’utilisation des données et leur exploitation par les algorithmes. Internet ne serait plus un vaste territoire mais plutôt un rassemblement d’îlots disparates et séparés strictement les uns des autres ou, mieux encore, des micro-univers, adaptés à chaque utilisateur.

Quelles conséquences ?

Si nous faisons face, si nous baignons dans un Internet de plus en plus fragmenté… Alors peut-être devrions-nous oublier les audiences de masse sur le web, non ? Avez-vous déjà vu cette vidéo, interroge Ryan Broderick. C’est la vidéo la plus vue de TikTok en octobre et pourtant, il y a fort à parier que beaucoup d’entre nous ne l’ont jamais vue. Et c’est aussi la nature même des structures qui exploitent le numérique qui pourrait s’en trouver bouleversée. La fin des méga-institutions et la naissance d’entités plus petites, plus fragmentées, chacune adaptée à sa niche d’audience ? Cette tendance-là, d’ailleurs, ne surprendra pas celles et ceux qui travaillent dans l’influence. On sait depuis déjà quelques temps à quel point il peut être intéressant de faire appel à des influenceurs de plus petite envergure : moins chers mais surtout plus écoutés par leurs petites communautés.

Enfermés dans nos bulles de filtre, nous serions aussi de moins en moins habitués à l’altérité, au différent, au dialogue. Mais surtout, si l’on regarde un peu en arrière, que remarque-t-on ? Que ces bulles de filtres qui nous enferment et nous mettent en quelque sorte des œillères font furieusement ressembler nos temps post-modernes à l’ère pré-numérique. Avant, chacun et chacune était circonscrit à l’actualité de son environnement proche : géographique, social voire temporel. Avant Internet, il était rigoureusement impossible de savoir à l’instant T ce qui se passait à l’autre bout du monde. Et d’une certaine manière, en se fragmentant en petits îlots, l’Internet de 2024 a retrouvé un peu de cette caractéristique. Un étonnant retour en arrière. En poussant les curseurs d’Internet à fond, on allant chercher les usages extrêmes des algorithmes et autres bulles de filtre, en façonnant à Internet à la mesure de chaque utilisateur, nous avons tué la viralité de masse et en quelque sorte dénaturé Internet. Ce retournement, c’est la viralité contre elle-même. Internet contre lui-même.