D’où vient le bouton « like » sur les réseaux sociaux ? Pourquoi existe-t-il ? Et que nous apprend l’analyse de son usage sur les pratiques des réseaux sociaux à l’heure actuelle ?
« Imaginez que vous venez de publier un article dans une revue de philosophie, et que vous partagez la bonne nouvelle dans un statut Facebook. Plus tard, vous êtes notifié qu’un collègue a « aimé » votre publication. Ce « like » ne signifie pas nécessairement que votre collègue apprécie le contenu en question, ni qu’il aime votre article, ni même qu’il vous apprécie, pourtant vous accueillerez probablement cela de toute façon. Qu’a exactement fait votre collègue, et pourquoi cela vous rend-il heureux ? », ainsi commence un court essai de la docteure en philosophie Lucy McDonald datant de 2021 et sur lequel s’appuiera cet article.
Le bouton « like » apparaît au tournant des années 2000 chez FriendFeed, un réseau social agrégateur d’autres réseaux – nous sommes alors en 2007 et ce bouton « like » n’est pas encore tout à fait celui que l’on connaît aujourd’hui. FriendFeed sera par la suite racheté par Facebook qui fera du bouton « like » un symbole puissant de son identité et qui peaufinera sa formule et va « inventer » le bouton « like » tel qu’on le connaît aujourd’hui. Si le pouce levé sonne aujourd’hui comme une évidence, plusieurs autres pistes furent explorées par les équipes de développement de Facebook : une étoile ou bien encore un signe « + ». C’est d’ailleurs la même réflexion qui va guider YouTube, quelques années plus tard lorsque la plateforme vidéo abandonne en 2010 les étoiles de notation des contenus pour un simple pouce levé. Certains réseaux garderont la même logique mais sans opter pour le « like » sous forme de pouce en l’air en préférant un cœur (Instagram, Twitter puis plus tard TikTok notamment). Puis viendront d’autres réactions qui, toutes, sont beaucoup plus explicites que le « like » qui reste finalement assez peu clair. Très rapidement, le « like » va donc s’imposer. Un geste simple, presque anodin… Qui ne l’est en fait pas du tout. D’ailleurs, en 2020, des juges à Zurich ont statué que liker une publication sur les médias sociaux pouvait constituer une diffamation ou une calomnie juridiquement sanctionnables, si la publication que vous « aimez » contient un contenu diffamatoire ou calomnieux. Cela est dû au fait que, selon la décision du tribunal, liker une telle publication équivaut à la fois à l’approbation et à la diffusion de son contenu. Au Royaume-Uni, en Inde et en Thaïlande, des personnes ont été interrogées ou arrêtées pour des « likes » jugés équivalents au harcèlement, à l’hérésie ou à la diffamation.
À quoi sert le « like » ?
Le « like » n’est pas conçu pour permettre aux utilisateurs de dire quelque chose, ce n’est pas fondamentalement une option au service des utilisateurs. C’est bien davantage dès le début un outil de mesure. Le « like » est conçu pour être une métrique. L’idée, comme le suggère la docteure Lucy McDonald, est d’avoir, via le « like », une métrique de l’estime dans laquelle la personne productrice d’info est tenue.
Pourtant, Lucy McDonald soutient que « nous ne devrions pas considérer les « likes » accumulés comme une mesure fiable de l’estime dans laquelle une personne est tenue ». Au lieu de cela, « le total des « likes » institue et mesure une forme numérique de ce que le sociologue français Pierre Bourdieu appelait « le capital social », ou « le produit du travail social accumulé ». Les totaux de « likes », souligne McDonald, « ont rendu le capital social plus visible et mesurable en ligne » avec plusieurs effets néfastes.
Évidemment, ces « likes » ont entraîné… une course au like et donc aux contenus toujours plus radicaux, plus extrêmes, plus sensationnalistes. « Notre désir d’engagement avec les autres, et le capital social qui en découle, peut nous faire moins soucier du caractère véridique des affirmations que nous faisons et partageons en ligne, ainsi que du fait que le contenu que nous partageons ait été délibérément conçu par d’autres pour déclencher nos biais et vulnérabilités, ou pour servir un objectif politique néfaste. Cela rend les utilisateurs des médias sociaux plus vulnérables à la manipulation et peut conduire à la diffusion d’idéologies nuisibles », affirme la chercheuse. À trop viser l’engagement, la réaction, on en oublie la base : le sens, la pertinence, la justesse.
L’autre grand problème est politique, au sens plein du terme, en ce que le « like » va progressivement se substituer à l’impératif de vérité. Dire ou lire le vrai a de moins en moins d’importance tandis que, dans le même temps, croît l’enjeu de faire du like.
La fin de l’illusion Internet
Pendant longtemps, poursuit Lucy McDonald, Internet a été promu comme un espace non seulement de liberté mais aussi d’égalité et d’une certaine manière d’exercice d’un jeu démocratique pur. C’est du reste encore la vision de certains défenseurs du web. McDonald explique que beaucoup ont vu dans Internet un moyen d’arriver à ce que le philosophe Jurgen Habermas appelle la situation idéale de parole. Dans la situation idéale de parole, les participants à la communication sont libres de tout obstacle qui pourrait entraver une communication ouverte et équitable. Les conditions idéales comprennent l’absence de contraintes externes, la garantie de l’égalité entre les participants, l’accès à toute l’information pertinente et l’absence de distorsions dans la transmission du discours. Dans ce contexte idéal, les individus sont censés être capables de s’engager dans un échange argumentatif, basé sur la justification rationnelle, où les meilleurs arguments l’emportent.
Or, avec l’apparition du « like », c’est en quelque sorte une vieille querelle qui est ravivée : les rhéteurs contre les philosophes. La fonction de « like » aurait ainsi ravivé la vieille crainte que la rhétorique et les appels émotionnels l’emportent sur la délibération rationnelle dans les démocraties. Elle l’a fait en quantifiant le capital social et en le rendant omniprésent dans la communication en ligne, rendant ainsi la démagogie plus saillante et tentante que jamais. À travers le « like », ce n’est pas tant le message qui est discuté mais bien plutôt le prestige de son émetteur qui est salué.
Le like appelle le like
Loin de susciter l’échange, l’argumentation, le dialogue, le « like » aurait pour effet pervers d’inciter toujours à rechercher le like. Plus on a de like, plus on en veut : « cette course au like rappelle constamment notre capital social en ligne, et elle renforce les incitations cognitives et sociales à produire du contenu qui accumule de nombreux ‘likes’ – beaucoup ajusteront donc leurs cercles (consciemment ou inconsciemment) afin de garantir un flux régulier de likes ».
En ce sens d’ailleurs, on peut remarquer que ce n’est pas la fonction like à proprement parler qui poserait problème ou qui aurait contribué à endommager la communication entre les gens mais bien plutôt le compte de ces likes. Le fait de compter les likes a gamifié l’expérience au point d’oblitérer le sens et les enjeux du dialogue. Et dans le même temps, plusieurs chercheurs ont noté que le web et le like avaient renforcé cette tendance à se rapprocher, précisément, des audiences dont on sait qu’elles likeront nos posts. Nous enfermant donc dans des milieux homogènes, proches de nous. C’est ce que la recherche appelle des bulles épistémiques (des structures épistémiques sociales relativement homogènes, et les chambres d’écho sont des bulles épistémiques combinées avec une méfiance systématique envers les outsiders).
On devra, en tout cas, s’interroger sur ce que serait un Internet sans like. Un Internet où toute prise de parole, prise de position, production de message, serait moins facilement évaluable. La production de contenu ne viserait plus des métriques mais plutôt à se rapprocher de la justesse d’un message. Évidemment, le like n’est pas seul responsable des maux du Web mais on peut le voir comme un symbole fort de cet univers numérique où tout est devenu métrique, où chaque intervention est instantanément évaluée non pas selon sa pertinence mais selon l’engagement qu’elle suscite. Engagement qui a rarement à voir avec le message ou même l’émetteur mais avec son capital social. Abattre le like apparaitrait comme une démarche salutaire, sans doute pas salvatrice, comme une première étape vers une pacification du dialogue à l’heure du numérique.
Un symbole du web d’aujourd’hui
Le bouton « J’aime » de Facebook est enfin un exemple de graphe de connaissance. Chaque fois qu’un utilisateur clique sur le bouton « J’aime », il crée une relation entre son profil et l’objet qu’il aime (une publication, une page, etc.). Cette relation peut ensuite être utilisée pour recommander d’autres contenus à l’utilisateur, pour afficher des publicités ciblées ou pour analyser les tendances sociales. C’est notamment ce que soulève Harry Halpin, universitaire américain et spécialiste en philosophie du Web, dans son essai The hidden history of the like Button. L’auteur rappelle que les graphes de connaissance sont actuellement sous le contrôle des entreprises. Cela signifie que ces entreprises ont un accès exclusif à une grande quantité de données sur nos comportements et nos préférences. L’auteur craint que cela puisse mener à une forme de surveillance et de contrôle social.
Le like contient en lui-même toute la rhétorique des réseaux sociaux et, au-delà, du web actuel. Le changer, ce serait aussi changer notre approche du Web. En optant pour l’opacité et la décentralisation des réseaux sociaux par exemple, en cultivant et promouvant une autre vision d’Internet, plus ouverte, démocratique et gratuite. On peut toujours rêver…