Ce qu’apprendre veut dire

Apprendre, comprendre, grandir, CFPJ

Qu’est-ce qu’apprendre et, à l’inverse, qu’est-ce qu’enseigner ? Question centrale et préoccupation permanente au CFPJ. Une question qui, à mon sens, soulève des enjeux politiques et intimes. Et c’est en creusant cette question que l’on peut aussi, et surtout, comprendre en quoi la formation continue est aujourd’hui un enjeu crucial pour nous tous et toutes.

L’autre jour, je suis passé dans l’une de nos salles pour assister à la fin d’une formation. Les deux participants étaient ravis. Et même plus que ça. L’un d’eux avait les larmes aux yeux au moment de remercier la formatrice. Emu, non pas d’avoir acquis un savoir mais bien plutôt bouleversé d’avoir compris quelque chose qui n’était pas explicitement au programme : il avait compris ce dont il était capable. En somme, il avait fait plus qu’acquérir une nouvelle connaissance ; il avait progressé dans la connaissance de lui-même. C’est du moins la conclusion que j’en tire aujourd’hui en me remémorant ses mots : « je ne pensais pas être capable de… », « je ne savais pas que je pouvais faire… ». Ce fut un moment aussi beau que déconcertant. Le participant s’était découvert ou redécouvert lui-même ; l’enseignement était devenu intime. Et je me suis dit que ce bouleversement témoignait bien du fait que, en ce qui concerne l’apprentissage, 1 + 1 n’est jamais égal à 2, mais à bien plus. Quand on vient se former, on doit repartir avec plus que ce qu’on était venu chercher.

Apprendre : juste un point de départ

Il y a dans l’acte d’apprendre, un moment très particulier qui arrive parfois : ce moment où l’on comprend bel et bien. Cet instant fugace qui agit comme une détonation à l’intérieur de soi. Il y a une seconde, je ne savais pas et, désormais et pour toujours, je sais. Cette explosion intérieure, c’est souvent une digue de l’ignorance qui saute. Comme si, d’un coup, les pièces du puzzle se mettaient en place laissant voir une vérité. Cet émerveillement-là, on le retrouve dans toute formation, tout processus d’apprentissage. Alors, oui, on peut sourire en imaginant celui ou celle qui vivra une épiphanie au moment de comprendre comment faire un tableau croisé dynamique sur Excel. Et pourtant, c’est tellement vrai ! C’est peut-être d’autant plus vrai pour celles et ceux qui ont quitté l’école faché-e-s. A titre personnel je ne doute pas que le jour où je réussirai mon premier tableau croisé dynamique, je vivrai un grand moment de joie ; j’expérimenterai cette petite détonation intérieure.

Comprendre, c’est comme voir les pièces d’un puzzle s’agencer parfaitement pour représenter un tableau cohérent et livrer un sens jusqu’alors caché. Avec une différence tout de même : le puzzle terminé, agencé, est une fin, alors que l’apprentissage n’est qu’un début. Comme pour une course d’athlétisme où la détonation du starter donne le top départ, cette détonation intérieure que déclenche la découverte d’une connaissance sonne comme une mise en mouvement de la pensée. On comprend mieux pourquoi on voit souvent l’apprentissage comme une renaissance, comme un nouveau départ. Apprendre, c’est se mettre en route.

Le refuge des humbles et la joie de la seconde chance

La formation continue, l’idée de se former tout au long de sa vie n’est pas nouvelle, loin de là, mais elle semble aujourd’hui davantage à la mode. Et c’est merveilleux parce que cela témoigne d’une grande humilité. Se dire, en tant que professionnel, « je vais me former après des années de métier à telle ou telle compétence », c’est reconnaître ses propres limites. C’est une manière de rester vivant, de ne pas se contenter de ce que l’on sait ni de ce que l’on est. Nous avons tous et toutes expérimenté cette sorte de répit : après avoir appris quelque chose, on s’arrête, on se pose et… parfois ce répit devient un immobilisme. Le danger du savoir, le danger de la connaissance est là. Il faut être capable d’apprendre, de découvrir sans jamais perdre cette soif, cet élan. Le philosophe Gaston Bachelard explique que « la connaissance est une lumière qui projette toujours ses propres ombres ». On peut le lire de deux façons. Première version : plus on apprend et plus on découvre l’étendue de ce qu’il reste à savoir ou, autrement dit, plus je sais, moins je sais. Deuxième lecture : le savoir peut bloquer l’envie de savoir – c’est le fameux répit dont je parlais – on est comme rassasié. Un savoir doit être vécu comme un commencement et non comme une fin. Voilà pourquoi j’aime voir nos salles de formations comme des refuges de connaissance, des lieux un peu hors du monde où l’on vient remettre en question son propre savoir et où l’on construit sa connaissance sur les vestiges des savoirs passés avec humilité.

Et puis il y a d’autres parcours. Ces femmes et ces hommes qui viennent chez nous parce qu’ils veulent redonner un sens à leur vie, changer de métier, se lancer dans un grand défi ou, tout aussi courageusement, fuir des métiers qui ne les rendent plus heureux ou heureuses. Dans ces cas-là, apprendre est un enjeu de survie. Apprendre, acquérir de nouvelles connaissances et compétences, cela peut littéralement et très concrètement changer des vies. Il faut mesurer ce que cela implique de courage, d’audace, de force et d’humilité. Et, en face, ce que cela implique de responsabilité pour nous, formateurs et formatrices.

Apprendre pour gagner du pouvoir

J’ai longtemps soupçonné qu’autre chose se jouait dans l’apprentissage. Aujourd’hui, je me dis que l’apprentissage est aussi une question de pouvoir. Apprendre, savoir, découvrir, maîtriser, « monter en compétence » comme on dit, c’est aussi gagner du pouvoir. Et je pense à ces gens brimés dans leur travail qui viennent chez nous pour se former et qui, d’un coup, découvrent qu’ils peuvent faire des choses. Qu’ils en ont le talent, la capacité. En un mot : ils en ont le pouvoir. Et je crois que c’est là un enjeu éminemment central dans la démarche d’apprendre. Aujourd’hui, on parle aussi d’empowerment. Mais de quel pouvoir parle-t-on ?

Concrètement, après une formation on revient dans son travail en sachant plus, en maîtrisant plus. A terme, on peut imaginer faire d’autres choses, se mettre davantage en valeur, changer de poste, gagner en responsabilité ou bien bifurquer vers quelque chose qui nous plaît davantage. La grande vertu de la formation continue est d’acquérir assez de pouvoir pour chasser les ombres de l’ignorance, du manque de confiance, des doutes et repousser aussi des limites qui nous restreignent.

Mais c’est aussi gagner un pouvoir sur soi-même. Dans l’acte d’apprendre, on effectue un chemin en dehors de soi et en soi. On va chercher une connaissance hors de soi, on va à la rencontre d’un groupe de participants, d’un-e formateur-ice. On sort de sa bulle pour y entrer à nouveau avec de nouvelles compétences. On quitte une formation, non pas meilleur, mais doté de nouveaux outils pour décider de ce qu’on veut/peut faire dans la vie. Au cours d’un processus d’apprentissage, on redevient acteur/actrice de sa vie. On choisit ce qu’on prend, ce qu’on apprend et comment utiliser telle ou telle technique.

Nombre de philosophes antiques auraient leur mot à dire quant à la nature de l’apprentissage et sur ce qu’on découvre vraiment en apprenant. J’ai toujours été très sensible à cette vision selon laquelle l’apprentissage n’est pas tant l’acquisition de quelque chose hors de nous mais bien plutôt la découverte d’un savoir qui était déjà en nous. D’où ce trouble infini quand on comprend enfin quelque chose. Apprendre serait ici découvrir cette connaissance qu’on avait depuis toujours en nous pour pouvoir ensuite la sortir de soi et l’utiliser dans le monde.

Il est possible que ces deux visions de l’apprentissage coexistent. D’un côté ce mouvement de l’extérieur vers l’intérieur pour prendre ce qui est dans le monde et le digérer pour en faire une connaissance à soi ; de l’autre, ce mouvement de l’intérieur vers l’extérieur, pour accoucher d’une connaissance qu’on a toujours eu en nous. Une première vision où le savoir serait une affaire de conquête, de se découvrir capable de gravir des sommets ; la seconde nous posant dans la posture de celui ou celle qui a toujours ignoré qu’il ou elle savait et, qui, en apprenant, découvre que rien ne lui est impossible et que tout savoir puise ses racines au plus profond de soi. Ce sont deux formes d’apprentissage, deux formes de pouvoir aussi. Oui, j’aurais donc en moi la connaissance d’un tableur Excel croisé dynamique (que j’ignore encore).

Apprendre, c’est comme allumer un feu

Apprendre tout au long de sa vie est une chance en même temps qu’une démarche authentiquement courageuse. Apprendre, c’est aussi et surtout découvrir ce que l’on a, en soi, d’irremplaçable. Quand on comprend ça, le reste se met en place. On comprend pourquoi la bienveillance est essentielle en formation, pourquoi l’absence de jugement est impérative, tout comme la solidarité, la gentillesse, les encouragements. Alors bien sûr, attention aux illusions. Toute formation n’est pas forcément une révélation. Parfois, on met dans la formation beaucoup trop d’attentes, ou parfois pas assez. Parfois, la mayonnaise ne prend pas avec le formateur ou la formatrice. Et alors ? Cela arrive, il faut le savoir, et c’est comme ça. J’adore l’image qu’utilise Gaston Bachelard – encore lui, qui explique qu’enseigner, c’est comme allumer un feu. « Il arrive qu’on rate un cours comme on rate un feu », écrit-il. Et ce n’est pas une raison pour ne pas renouveler l’expérience. Bien au contraire.

Simon Ruben, responsable du CFPJ.

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