Vidéos romantiques avec images de Tour Eiffel, acteurs venus de Star Wars, visio avec le monde entier. La stratégie de l’Ukraine et de son président Volodymyr Zelensky en matière de storytelling et de communication digitale est un modèle du genre.
En Ukraine, vous pouvez télécharger une appli pour être prévenu par une alerte sonore quand une attaque a lieu, afin de vous réfugier dans les abris. Appli utilisée notamment par les journalistes occidentaux sur place. Le détail savoureux et ô combien symbolique de la communication ukrainienne : la voix qui annonce l’alerte dans votre téléphone est celle de Mark Hamill, l’interprète de Luke Skywalker dans Star Wars. A la fin de l’alerte, nouveau message qui indique que chacun peut rentrer chez soi conclu, non sans humour, par « Que la force soit avec vous ». Voilà une anecdote qui résume bien la communication moderne et totalement inédite menée par l’Ukraine depuis le début du conflit. On a en tête le visage grave, à peine maquillé, du président ukrainien, on a aussi en tête ses treillis et tenues militaires. Autant d’éléments qui font partie d’une stratégie de communication extrêmement moderne, efficace, digne et authentique.
Volodymyr Zelensky a tout compris
Cette communication ultra présente sur les réseaux et investissant des registres inattendus, comme l’humour, pour se faire entendre, elle vient en grande partie du président ukrainien lui-même. Volodymyr Zelensky a été comédien, il sait très bien comment faire passer un message. Ces années de comédie lui donnent l’assise et la posture (ainsi que le talent pour parler en public ?). Il en profite pour multiplier les conférences de presse, visio, interviews avec les médias du monde entier mais aussi les universités, comme en France à Sciences Po.
Dans la droite ligne de l’exemple du président, les ukrainiens ont investi les réseau à grand renfort de photos et vidéos pour dénoncer les horreurs de la guerre. Jusqu’alors, en occident au moins, nous n’avions jamais vu un tel usage des réseaux sociaux pour susciter l’empathie, alerter sur la guerre.
Diplomatie 2.0
La diplomatie de Zelensky ne se résume pas à une stratégie de communication digitale mais cette dernière est la composante fondamentale. Car en déplaçant la focale, non pas sur les ambassades et les dirigeants du monde, mais sur le terrain et les témoignages directs, l’Ukraine a pris de vitesse la diplomatie traditionnelle. En d’autres temps, nous aurions pu imaginer une sorte d’essoufflement médiatique et politique. Après des années de guerre, le sujet glisserait peu à peu en bas des pages des journaux. Aujourd’hui il n’en est rien, et c’est en bonne partie grâce à cette communication émotionnelle hyper rapide créer par l’Ukraine. Comment ne pas agir, comment rester sourd diplomatiquement lorsque le net est inondé de témoignages et de vidéos ?
Gardons-nous bien, cependant, d’opposer une diplomatie traditionnelle et raisonnée à une communication émotionnelle débordante et anarchique. L’Ukraine a joué avec ses cartes, en l’occurrence un président à l’aise face au public, habile sur les réseaux et qui a un sens de l’audience indéniable. Ce que nombre de politiques ne possèdent tout simplement pas.
Zelensky sait par ailleurs qu’une communication doit être vivante, dynamique, qu’elle doit changer. Répéter le même message sans cesse, sur le même ton, fonctionne rarement. Voilà pourquoi le ministère de la défense ukrainien a publié en octobre 2022 une incroyable vidéo de « déclaration d’amour » à la France après l’envoi de canons.
S’adapter à l’audience
Et lorsqu’il s’adresse à des parlements étrangers, là encore, Zelensky sait viser juste. Au Canada, devant les parlementaire, il les alerte : « imaginez Montréal assiégé » ; aux Etats-Unis il fait référence à l’histoire « souvenez-vous de Pearl Harbour », devant le Bundestag : « détruisez ce mur » en faisant référence au Mur de Berlin. Un discours dont la forme s’adapte donc à l’audience en permanence pour toucher les interlocuteurs. C’est une leçon fondamentale. Une bonne communication prend soin de l’audience, la considère, la respecte et parle donc dans sa langue, avec ses références, sa culture. Une communication qui parfois va trop loin comme lorsque Zelensky compare l’invasion russe de l’Ukraine à la Shoah en s’adressent aux parlementaires israéliens, comparaison qui a heurté certains responsables politiques en Israël. En France, Volodymyr Zelensky ira jusqu’à comparer Marioupol à Verdun. Et rappelle à la France sa devise pour légitimer son aide au peuple ukrainien.
S’adapter à l’audience, cela signifie aussi quelque chose de fondamental : le travail. La recherche documentaire de Zelensky et ses équipes pour parler juste à chaque personne et mobiliser les bonnes références est tout à fait remarquable. Aussi bien auprès de publics étrangers comme on l’a vu que de publics ukrainiens. Derrière cette communication, on entraperçoit des travaux d’historiens, de géographes, de sociologues au service d’une nation ou de l’idée que Zelensky se fait de la nation ukrainienne.
Leçons de com’
Communiquer ce qui plaira à l’audience, ne pas l’ennuyer, la faire rire même sur un sujet tragique, parler, incarner. Tout cela, l’Ukraine le fait sur les réseaux. Et ce sont les bons réflexes à avoir en communication. Mais Zelensky sait que la priorité est de faire entendre le message au plus grand nombre et, partant de là, il ne peut pas se permettre de miser sur une communication traditionnelle. Ni trop dure.
Grande leçon aussi : faire avec ce qu’on a et ne pas jouer un jeu qui n’est pas le sien. L’Ukraine n’avait pas d’armes, voilà pourquoi elle a utilisé cette stratégie dite de l’imagefare : utilisation d’images comme substituts aux moyens militaires pour se faire entendre et se défendre. Et ça marche parce que les codes du Net sont respectés ; aussi parce que l’Ukraine capitalise sur une proximité culturelle avec l’occident.
Cette narration officielle est amplifiée par une narration venue des ukrainiens eux-mêmes qui, de la même façon, va varier les tons, les angles et les manières de montrer ce qui se passe. Avec des scènes parfois terribles mais aussi des vidéos de la vie quotidienne qui, là encore, vont incarner un conflit et le rendre quasi-tangible auprès du grand public.
Parallèlement, la communication russe semble prise de court. Vladimir Poutine n’a pas la même image. Et s’il est isolé diplomatiquement, il l’est sans doute encore plus d’un point de vue narratif. Le récit écrit par l’Ukraine à travers cette stratégie décomplexée et audacieuse le fait passer non seulement pour un méchant mais, pire que tout sur les réseaux sociaux, pour un ringard.
En résumé :
- Incarner : se montrer et montrer du vrai, des faits
- Jouer sur les émotions : savoir faire rire et émouvoir par des images, du texte, des discours
- S’adresser à tout le monde et à chacun : des membres du parlement du Canada (dans son discours il projette l’audience avec lui, « imaginez Montréal assiégé, imaginez Toronto sous les bombes » etc) jusqu’au grand public à travers des tweets en passant par les étudiants de SciencesPo. A chaque fois, il adapte son discours à l’audience. Avec cette communication engageante, il implique l’audience dans son récit.
- Storytelling évolutif : l’Ukraine ne communique pas de la même façon auprès d’un même public pour, justement, ne pas ennuyer, ne pas lasser. Le storytelling évolue sans cesse.
- Storytelling & employee advocacy : en montrant les choses, en se mettant en scène sur le terrain, Zelensky a invité son peuple à faire de même et montrer aussi bien la guerre que la vie quotidienne sur les réseaux. Il a bâti une communication collective où chacun a sa place et produit du contenu
- Sens de l’actu : Zelensky a le sens de l’actualité, il sait rebondir sur un événement comme au Festival de Cannes 2022, lorsqu’il déclare qu’il est temps qu’arrive un nouveau Chaplin « qui prouvera une fois de plus que le cinéma n’est pas muet ».
- Rester authentique : bien sûr il y a de la mise en scène, mais la mise en scène ne veut pas dire le mensonge. La communication est authentique parce qu’elle prend racine dans des faits : photo, vidéos, témoignages. Les faits sont la sève de cette stratégie qui, du même coup, devient percutante et juste. L’authenticité est d’autant plus forte qu’elle vient d’un comédien dont on aurait pu attendre de la tromperie, du mensonge. Mais encore une fois, les faits sont si forts, si évidents, si présents qu’il « suffit » de les mettre en avant pour que l’audience adhère à ces communications.
- Coulisses : Zelensky montre le terrain, les couloirs du palais présidentiel, etc. Bref, il nous emmène là où peu de médias vont. Montrer les coulisses, c’est toujours un excellent réflexe de communicant.
- Faire court : Zelensky quand il parle aux parlements, excède rarement les 10mn. 10mn, c’est le temps maximum d’une prise de parole impactante. Au-delà, l’audience peut vous lâcher.