En matière de consommation d’information, les médias traditionnels continuent de chuter

Dans son Digital News Report, le Reuters Institute décortique les habitudes de consommation des médias dans près de 50 pays, avec une étude qualitative de 90 000 personnes. Bilan ? Les médias traditionnels (radio, télé, presse écrite) sont de moins en moins privilégiés par le public. Une tendance qui, si elle n’est pas nouvelle, s’accélère.

A mon arrivée en tant que responsable du CFPJ, j’ai été étonné de voir revenir ici et là un terme que je n’avais jamais vu ni entendu. Dans des formations, dans des colloques liés à la communication ou à l’étude des médias, ce mot revenait régulièrement, un drôle de mot-valise : infobésité. Durant dix années à travailler en tant que journaliste je n’avais jamais lu ou entendu ce terme. L’infobésité, c’est-à-dire la production excessive de news, d’information et l’incapacité de l’audience à absorber tout ce contenu. Trop d’info tue l’info. D’abord, je me suis rassuré : « pas étonnant qu’un journaliste ne connaisse pas ce terme », terme que je considérais avec une certaine perplexité d’ailleurs. J’ai vécu en rédaction pendant 10 ans, entouré de gens qui connaissent l’actu, qui en sont passionnés. Pour moi, connaître l’actualité est une évidence. Et pour cause, j’ai baigné dedans. Moi, journaliste, je ne concevais pas qu’on puisse être gavé d’info. Ou du moins, je ne pensais pas quotidiennement à cette réalité que je n’ignorais pas totalement pour autant. Mais, à la réflexion, je crois qu’il est parfaitement étonnant qu’un journaliste ne connaisse pas ce terme et, au-delà, ne soit pas sensible à l’excès d’information, à la surproduction d’actualité. Mon cas personnel n’est peut-être pas généralisable mais il montre dans une certaine mesure qu’on peut vite être déconnecté d’une partie de l’audience et de ses attentes. C’est en partie ce que montre cette longue étude du Reuters Institude.

L’audience évite le news

Premier enseignement : l’audience évite les informations. Ou du moins, les mauvaises informations, celles qui plombent le moral et nous rappellent que le monde va mal. Constat choquant pour un journaliste. La proportion de personnes qui disent éviter le news est éloquente et ne cesse de croître. En France, la part des gens qui disent éviter les infos est passée de 29% en 2017 à 36% en 2022. Le record vient du Brésil où ce chiffre atteint 54%.

Parmi les raisons invoquées par celles et ceux qui évitent les infos : le covid à 43%, les infos qui cassent le moral à 36% ou bien la trop grande quantité de news (29%). Je trouve ces chiffres essentiels à travailler pour les médias eux-mêmes qui sont souvent dans une course à l’info, à la vitesse… alors qu’ils laissent une partie de l’audience sur le bord de la route. N’allez toutefois pas croire que ces tendances là sont ignorées des grands médias. Mais c’est une chose de savoir, de sentir ce décrochage de l’audience ; c’en est une autre de l’éprouver bel et bien. 36% des interrogés français évitent les infos. Voilà de quoi réfléchir. Cela interroge les formats, les sujets traités, les temps de parole consacrés à tels et tels sujets, les réflexes journalistiques, les profils des invités, etc.

Des médias traditionnels en perte de vitesse

Deuxième enseignement : la baisse de l’audience de la radio, de la télé et de la presse écrite. La question suivante a notamment été posée : « quel est le premier moyen que vous utilisez pour vous informer le matin ? » et, en France, fait quasi-unique, c’est la télé qui arrive en tête (27%) devant le smartphone (25%), la radio (23%) puis la presse écrite loin derrière (3%). La France, l’un des rares pays où la télévision est privilégiée pour l’info du matin (même situation, encore plus flagrante au Japon). Partout ailleurs, c’est le smartphone qui l’emporte.

Et il est intéressant de confronter à ces chiffres une autre partie de l’étude qui nous parle de la presse en ligne. C’est l’un des leviers de survie de la presse papier. Cette étude nous enseigne que la France est à la traîne. La proportion des interrogés qui disent avoir déjà payé pour de la presse en ligne en 2021 est de seulement 11% en France contre 41% pour la Norvège ((qui arrive en tête), devant la Suède et la Finlande. Sur les 20 pays étudiés, la moyenne est de 20%. Seuls deux pays font moins bien que la France en la matière : le Japon et le Royaume-Uni. On peut toutefois souligner l’importance de l’aide de l’Etat français auprès de la presse papier qui a permis de maintenir à flot les ventes physiques retardant du même coup la conversion de clients payants au numérique.

Des nouveaux moyens de s’informer émergent

Comme on pouvait s’y attendre, les médias sociaux et les plateformes multiples ont pris, dans une certaine mesure, le relai. 30% des interrogés disent par exemple avoir consulté Facebook dans la semaine pour s’informer. Facebook large leader en la matière mais en perte de vitesse notoire sur 8 ans. tandis que Youtube, Whatsapp, Instagram et Twitter complètent le Top 5, tous marquant une progression depuis 2014.

Evidemment, ce changement d’habitudes de consommation de l’info est en partie l’oeuvre d’une classe d’âge, les 18-24 ans. 15% d’entre eux consultent par exemple Tik Tok pour s’informer. On peut notamment souligner l’arrivée sur ce réseau social de nombreux médias traditionnels comme Le Monde, Alternatives Economiques, France Info ou encore la présence d’influenceurs et producteurs de contenus tels que Hugo Décrypte. Et on touche là à une différence majeure entre générations : le format de l’info change. Les plus jeunes auront tendance à privilégier des vidéos courtes, voire du podcast. La narration évolue aussi. Sur Tik Tok ou Youtube on a besoin d’incarnation, d’une personne qui fait office de pédagogue et qui s’adresse au viewer de manière directe et souvent plutôt informelle. Quelque chose que n’ont pas ou peu les médias traditionnels.

De plus en plus de déconnectés de l’info

Beaucoup de chiffres et de graphiques que nous vous encourageons à parcourir, donc. Avec, au final, un constat qui doit amener tout producteur d’info à s’interroger : de plus en plus de gens sont déconnectés de l’informations, évitent le news ou sélectionnent uniquement certains type de contenus et finissent par passer à travers le reste. Une tendance visible à peu près partout dans le monde. On peut mettre ça sur le compte de la guerre en Ukraine et du Covid, deux faits d’actualité omniprésents sur des plages de temps remarquablement longues et qui, par essence, sont des sujets lourds pour le moral. On peut aussi y voir l’influence des vies sous algorithmes où l’on a de plus en plus tendance à évoluer dans des domaines de contenus qui nous conviennent, à ne plus être surpris par les contenus mais plutôt à être dirigés vers ceux qui, d’après les algorithmes, nous conviennent. On peut bien sûr penser aux effets de l’intensification des couverture médiatiques. Autant de pistes à explorer.

Et ce sont peut-être bien les plus jeunes qui détiennent la clé. Celles et ceux qui ont le plus tendance à s’écarter des médias traditionnels et dont le comportement, en creux, ne nous dit peut-être rien d’un potentiel dégoût pour l’info mais nous renseigne bien davantage sur le besoin d’innovation. Pour que l’info n’use pas, l’innovation, les nouveaux formats et la narration sont plus que jamais nécessaires.

Pour aller plus loin sur ce thème, le CFPJ vous accompagne avec ses formations :