D’où viennent ces articles, ces reportages, ces interviews que vous consultez dans les médias ? Qui en a eu l’idée ? Comment est-on passé d’une idée à un sujet diffusé ou publié ? Cette question est loin d’être évidente. Et à travers le parcours de naissance d’une info, c’est une partie de la pratique journalistique qui se trouve questionnée.

Journalisme : naissance d’une info

naissance d'une info

D’où viennent ces articles, ces reportages, ces interviews que vous consultez dans les médias ? Qui en a eu l’idée ? Comment est-on passé d’une idée à un sujet diffusé ou publié ? Cette question est loin d’être évidente. Et à travers le parcours de naissance d’une info, c’est une partie de la pratique journalistique qui se trouve questionnée.

A l’origine était le journaliste. Un article, un reportage en radio ou en télé, a parfois pour point de départ le journaliste lui-même. Par ce qu’il ou elle voit autour de lui ou d’elle. Le journalisme, c’est d’abord et avant tout raconter le monde tel qu’il est. Il suffirait donc de regarder ce monde-là pour dénicher les nouveautés, les incongruités, les anormalités et en faire des sujets. Puiser, donc, dans le réel et ce qui nous entoure les idées qui donneront lieu à des reportages. Toutefois, il arrive que si le journaliste propose un sujet, ce ne soit pas parce qu’il l’a vu en vrai mais possiblement parce qu’il a été alerté par des auditeurs, des téléspectatrices ou lectrices ou bien par des personnes travaillant en relations presse. C’est dans ce processus là que s’insère le fameux communiqué de presse par exemple.

« Faut lui faire dire que »

Très souvent, le journaliste qui va réaliser le reportage n’est pas à l’origine du sujet. C’est particulièrement vrai dans les services qui traitent toutes les thématiques sous forme de reportages (service reportage, autrement appelé service infos générales ou IG). Ces services, présents dans la plupart des médias sont le cœur battant des rédactions : les reporters n’ont pas de spécialité, si ce n’est celle de faire vivre l’actualité sur le terrain.

Concrètement, le matin, à l’issue d’une conférence de rédaction le chef de service ou redacteurice en chef va « commander » un sujet à tel ou tel journaliste. Où a-t-on trouvé l’idée ? La conférence de rédaction a pu susciter des débats, un brainstorming qui a amené à se poser telle ou telle question. Mais, très souvent, un journal va service de base à la réflexion. Un journal va servir de vivier pour les idées de sujets du jour : Le Parisien. Et il n’est pas rare, surtout en radio et TV de voir débouler un chef de service, Parisien sous le bras, et dire à son reporter « faudrait que tu fasses ça » en posant le journal ouvert à la bonne page sous le nez du reporter. S’en suivra souvent une autre tirade bien connue : « faut lui faire dire que ». Comprendre : retrouve la personne dont parle l’article ou une personne dans la même position et fait lui dire ce qui est écrit là. Attention, il ne s’agit pas d’inventer ou de forcer les gens à dire tel ou tel propos. Mais c’est une manière de se projeter dans le sujet, une manière de montrer au reporter ce qui est attendu de lui.

On l’aura donc compris, la marge de manœuvre du journaliste est ici ténue. Cela n’empêche aucunement les journalistes de bien faire leur travail et de raconter ce qui se passe dans le monde. Mais les conséquences de cette façon de faire son intéressante à questionner. D’abord, quid de l’imagination ? On voit bien comment, dans ce processus, le journaliste est réduit à un rôle d’exécutant. Et cela peut conduire soit à de l’ennui, soit à une fatigue profonde de journalistes qui, petit à petit, se retrouvent à faire des sujets qu’ils n’aiment pas vraiment, en perdant le sens de ce qu’ils ou elle font. Autre question : quid du plagiat ? Nombreux sont d’ailleurs les journalistes de presse écrite à se plaindre que telle ou telle chaîne a copié leur sujet, interviewé les mêmes personnes sans jamais citer le média d’origine. Au-delà du journalisme, cela pose évidemment la question des informations qui circulent, des reportages très semblables qu’on peut trouver sur plusieurs médias.

Marketing de l’info

A quoi fait-on référence quand on parle de marketing de l’info ? Ce terme peut porter à confusion. A titre personnel, en rédaction, j’ai vu la différence entre les journalistes qui savent vendre leurs sujets et ceux qui n’y parviennent pas. C’est ça, pour moi, le marketing de l’info. Et c’est un élément trop souvent oublié. Car que se passe-t-il quand un journaliste veut proposer un sujet ? Il doit le vendre, c’est-à-dire convaincre ses supérieurs de l’intérêt du sujet. Le journaliste doit alors se mue en vendeur. Il faut présenter en peu de temps les forces du sujet, montrer ce que cela pourrait donner. Bref, donner envie de faire le sujet. Et ce n’est pas donné à tout le monde. Un journaliste qui ne convainc pas ses supérieurs de la force de sa proposition verra son sujet réduit (en durée, en nombre de signes) voire complétement mis de côté.

Il faut s’imaginer ce moment fort de la vie d’un média qu’est la conférence de rédaction. Autour d’une table, rédacteurices en chef, chefs de service et journalistes. Pendant une heure environ, les échanges fusent : de quelle manière pourrions nous parler de tel ou tel événement d’actualité ? Voilà la question posée à tous et à chacun, dans son domaine. S’en suivent des débats, des questionnements, des hypothèses, puis des choix – car on ne peut pas parler de tout. C’est à ce moment là que chacun prêche aussi pour sa paroisse. Dans un média généraliste, le service des sports passera bien souvent en dernier, traduisant au passage la moindre importance accordée au sport. Et pour chaque représentant d’un service (culture, économie, politique, etc), le même objectif : convaincre que les sujets valent le coup. C’est une sorte de marché où les rédacteurices en chef choisissent, ajustent, proposent aussi.

Intervention

Et alors les propriétaires de médias, ils interviennent ? Rarement, en vérité. Mais cela peut arriver, comme l’a récemment montré la grève du journal Les Echos où les journalistes craignent pour leur indépendance vis-à-vis du groupe LVMH détenu par Bernard Arnaud. Des exemples comme celui-ci, on en trouve un peu partout. Impossible toutefois de faire une généralité et estimer que toutes les infos sont biaisées. Ou du moins, pas comme on le penserait.

Parce qu’il y a des interventions plus puissantes que celles des patrons de médias : il y a le réel et notre place dans le monde. Ce qu’on voit bien à travers le circuit d’une info, c’est qu’elle prend naissance dans le cœur (et la tête) des journalistes. On attrape une idée en lisant un autre média, via l’AFP et ses dépêches ou bien parce qu’on a discuté avec quelqu’un ou vu quelque chose. Mais cela pose la question suivante : dans quelle réalité vivent les journalistes ? S’ils sont tous à Paris, ont tous fait des formations similaires, côtoient les mêmes cercles… on peut s’interroger sur leur capacité à débusquer des sujets en dehors de leurs propres réalités quotidiennes. Cette question, de nombreux médias se la posent, et fera l’objet d’un autre post…