Comment créer une histoire à partir d’un brief d’agence ?

Exploiter le storytelling dans une stratégie de contenus.

Bonjour, je suis Thomas Jamet, je dirige en France IPG Mediabrands, un groupe d’agences Médias, appartenant à Inter public, 4ème groupe mondial de communication.

Nous avons 2 agences : Initiative et UM. Je suis également spécialiste de Brand Content pour l’avoir pratiqué pendant presque 10 ans chez Publicis et de planning stratégique. Professeur à Sciences Po, je donne des cours en Brand Content à un niveau international.

Quelle est l’importance de la mise en récit dans une stratégie de contenus ?

L’importance du récit dans une stratégie de contenus, est pour moi liée à trois points :

  • Une histoire pleine de sens : je pense qu’aujourd’hui, malheureusement, nous n’avons pas assez de communication, de publicité, de contenu porteur de sens. Il faut que l’histoire qui va être portée puisse réellement incarner l’ADN de la marque. Et ça, ça se travaille. Il y a des codes à respecter, un vocabulaire et des thèmes appropriés pour valoriser l’ADN de la marque. Porter cette histoire, c’est extrêmement important, c’est essentiel.

 

  • Une histoire viralisable : quand on parle de récit, on parle d’oralisation, de discours, de choses qui peuvent être transposables, qui peuvent évidemment se consommer sous différents formats : de la vidéo et du texte. Et c’est aussi du partage oral. L’histoire peut aussi faire l’objet de commentaires sur les réseaux sociaux. On est dans une discussion et il faut que l’histoire puisse porter cette valeur de discussion.

 

  • La qualité de l’histoire en elle-même : au-delà de la production et de la forme, c’est la narration qui fait la qualité de l’histoire. Aujourd’hui, malheureusement, trop d’histoires ne sont pas faites par des professionnels. Elles sont écrites par des publicitaires ou des pseudo-publicitaires qui essaient de faire de la publicité autrement en utilisant le contenu sans porter réellement la narration. Leur façon de faire ne respecte finalement pas ce qu’est une vraie narration, un vrai storytelling, à savoir du sens, une viralisation et également une qualité de production et d’histoire.

Pouvez-vous nous donner un exemple de stratégie de contenus, en France, qui aurait exploité efficacement le storytelling ?

Un exemple, pour moi, en France d’une  marque qui a le mieux exploité le storytelling et une stratégie de contenus, ce serait Fleury Michon. Elle a mis en place, il y a deux ans environ – et je n’ai pas trouvé de meilleur exemple depuis  – sa campagne “ Venez vérifier”.

Le concept était simple.  Au départ – après ça s’est étendu sur toute la marque Fleury Michon – tout a commencé avec le surimi, les petits bâtonnets de crabe dont les consommateurs se sont toujours demandé ce qu’il y avait dedans : “Qu’est-ce que je mange ? Qu’est-ce qu’il y a dans ces bâtonnets de crabe : du plastic, des déchets de poisson…?”. En réponse au stress des consommateurs, Fleury Michon a mis en place une stratégie de contenu avec une idée très simple : “venez voir par vous-même, venez vérifier”. Et vous verrez que nos bâtonnets de crabe sont faits avec du vrai crabe, que c’est un vrai aliment,  avec des ingrédients de qualité.

Pour porter ça, tout un storytelling a été mis en place avec une histoire qui respecte vraiment les valeurs de la marque Fleury Michon, c’est-à-dire le côté naturel.

Dans cet exemple des pêcheurs ont été mis en scène, mais on connaît tous les sagas publicitaires de Fleury Michon.

Ce que j’ai trouvé particulièrement intéressant dans cet exemple, c’est l’injonction qui était donnée grâce au contenu. Il montrait des pêcheurs en train de pêcher le crabe, la manière dont ils fabriquaient les bâtonnets, etc., etc. Tout le côté en amont, la face cachée de la fabrication avec un effet teaser de “il faut venir voir”,  etc.

Il y avait une sorte de dynamisation du contenu par cette injonction, par la question qui était posée et par ce quasi ordre “venez vérifiez” qui était donné. Toutes les suspensions, a priori, sont d’une certaine manière gommées. Tout le monde ne va pas aller vérifier mais si on dit “venez vérifier”, c’est qu’on n’a rien à se reprocher.

C’était particulièrement malin et à l’occasion du Grand prix “Stratégies” du Brand Content 2015 dont j’étais président de jury, cette stratégie a été primée. Elle véhiculait plus que du contenu , c’était une vraie stratégie d’entreprise, une vraie stratégie de marque.

On est là dans l’ADN pur de la marque, dans une vitalisation et une dynamisation avec un enracinement dans une discussion avec la marque. On est dans un contenu qui se partage, dans une qualité de contenu très bien fait et novateur.

Quels sont les éléments essentiels pour élaborer un brief qui permettrait à une agence d’exploiter le storytelling ?

Les meilleurs éléments d’un brief pour une agence qui voudrait faire du storytelling, ou une marque qui voudrait briefer une agence, sont au nombre de 4 :

  • Avoir un bon planning stratégique : un bon planning stratégique implique une bonne analyse qui sera ensuite revue par l’agence, les planners ou les stratèges. Mais cette analyse devra en en amont être vue chez l’annonceur qui se posera la question, hyper importante, des objectifs. Bien sûr on évoquera également  la question « comment faire pour adresser le message ». Mais l’important est de savoir ce que je veux faire et quel est mon objectif. Il faut essayer de le quantifier au maximum. C’est ça la première étape, hyper importante.  La plupart du temps c’est fait par n’importe qui, parfois même par des financiers. Et ça ce n’est pas ça un objectif. On parle de contenu, c’est-à-dire à quoi je veux arriver : Est-ce que je veux que ma notoriété monte dans des études que je pourrais faire en post test ? Est-ce que je veux vendre ? Est-ce que je veux créer de l’attachement à la marque ? Est-ce que je veux créer une profondeur de discussion avec un nombre de likes ? Voilà le vrai objectif qui doit être précisé dès le départ avec les planners.

 

  • L’insight : quelle vision par rapport à la question posée, par rapport à l’objectif. On a une question et un objectif : mais comment y répondre en partant du consommateur et de ce qu’on va lui apporter ? Certes on s’adresse à des consommateurs, car on est dans une démarche publicitaire au sens large du terme, mais pas que.  On est là pour vendre un produit  ou pour faire la promotion d’un service mais les consommateurs  ne sont pas uniquement des cibles. Et puisqu’on parle de contenu, ils représentent aussi des audiences, un public à qui on va raconter une histoire et qui a le choix de zapper ou de regarder (et encore plus à l’ère de l’ad blocking). Cet insight est donc particulièrement important. Quelle histoire veut-on raconter ?

 

  • Qualité créative, l’idée qui va sous-tendre la réalisation de cet insight. Pour le coup, c’est clairement le travail des créatifs mais de créatifs qui savent traiter le contenu. Aujourd’hui, il est très compliqué de trouver des créatifs qui maîtrisent le contenu. On les trouve uniquement , et j’ai l’impression que c’est un effet générationnel, chez les jeunes créatifs qui sont digital natives et qui comprennent dès le départ qu’on est dans une dynamique qui n’est pas celle de la pub avec des spots de trente secondes et des effets de réclame qu’il faudrait dépasser.

 

  • Les moyens pour la production. Il est arrivé qu’on nous donne des objectifs très importants sans nous allouer les moyens, que ce soit pour la production ou pour les médias. Sans stratégie médias pour accompagner le processus cela ne sert à rien. J’ai encore en mémoire un annonceur qui pensait que le contenu allait se viraliser lui-même. Non, ce n’est pas vrai, ça n’existe pas, il faut payer, mettre de l’argent sur le support médias pour que cela fonctionne. Un peu comme si on produisait le meilleur film du monde et qu’on le diffusait dans une seule salle : cela ne sert à rien.

Pour conclure, je dirai qu’il ne faut pas oublier de rester humble. On est dans un exercice publicitaire pour faire vendre des produits. Le contenu est une nouvelle forme d’écriture, une nouvelle forme de narration réactivée par le digital. L’exercice existe depuis la nuit des temps, depuis le guide Michelin dans les années 1900. Il existe beaucoup d’exemples, très anciens, et dès le départ il s’agissait de prendre la parole pour vendre un produit ou assurer la promotion d’un service. Il ne faut oublier qu’on est dans cette démarche-là. À la différence du mécénat, à la différence d’autres types de communication, le contenu de marque est là pour porter une marque, comme son nom l’indique, et pour porter un produit. Soyons humbles dans la manière de traiter ces problématiques. Même s’il faut des moyens et de l’ambition, on reste dans un exercice commercial et marketing.

Pour aller plus loin :

Formation Storytelling Publicitaire : de l’audace à la quête du vrai – Blended learning

Formation Fédérer son auditoire avec le storytelling